Réduire l’activité automobile permet de baisser la pollution de l’air. Mais de façon antagoniste, cela contribue aussi à augmenter la concentration problématique de méthane comme l’a montré une étude publiée dans la revue Nature.
Réduire l’activité automobile : une épée à double tranchant
Réduire l’activité automobile permet-il de faire baisser la pollution de l’air ? Même si cela ne fait pas disparaître comme par magie tous les polluants de l’atmosphère, les données comme celles d’Airparif ont prouvé lors du grand confinement de 2020 que la forte diminution du trafic routier avait une nette influence sur la concentration en oxydes d’azote (NOx). De façon contre-intuitive, pourtant, des chercheurs ont constaté une hausse de la concentration en méthane dans l’atmosphère à plusieurs points du globe où l’activité des transports s’était nettement réduite cette année-là.
C’est une étude publiée dans la revue Nature par le professeur Shushi Peng de l’université de Pékin qui permet de comprendre pourquoi. D’après les données de l’étude, la concentration en oxyde d’azote a bien diminué dans l’atmosphère lors des périodes de confinement. Cette diminution de la concentration d’oxyde d’azote a contribué à augmenter celle du méthane : les émissions d’oxydes d’azote entraînent la présence dans l’air de « radicaux hydroxyles » (OH), qui neutralisent notamment le méthane présent. Quand ces émissions d’oxyde d’azote diminuent, il y aurait donc moins de radicaux hydroxyles et donc, plus de méthane.
La mystérieuse augmentation du méthane en 2020
Les chercheurs ont été étonnés d’une forte hausse de la concentration de méthane (CH4, même molécule que le gaz naturel) dans l’atmosphère en 2020, malgré les confinements associés à la pandémie de Covid-19. Le ralentissement de l’activité économique s’est traduit par une baisse des émissions de méthane liées à l’industrie des énergies fossiles.
Dans une étude publiée dans la revue Nature, dirigée par le professeur Shushi Peng de l’université de Pékin, une équipe internationale de scientifiques a révélé la clef de l’énigme, qui s’explique par deux phénomènes. Le premier facteur est une moindre présence en 2020 des radicaux hydroxyles (OH), principaux responsables de l’élimination du méthane dans l’atmosphère. Ces OH, présents en quantité infinitésimale et à la durée de vie de moins d’une seconde, sont « les Pac-Man de l’atmosphère : dès qu’ils voient quelque chose, ils le mangent et ils disparaissent », explique le chercheur français Philippe Ciais.
Une mauvaise nouvelle pour le climat
Le deuxième facteur identifié est lié à une augmentation des émissions naturelles de méthane par les zones humides. Les micro-organismes présents dans les marécages ou les tourbières produisent naturellement ce gaz. Ces zones sont « très sensibles au climat », indique Marielle Saunois, du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE). « Les micro-organismes vont produire plus de méthane dans des climats plus chauds et plus humides ». En 2020, des conditions plus humides et plus chaudes dans les hautes latitudes nord et dans les tropiques de l’hémisphère Nord expliquent donc une production plus importante de méthane.
Ces découvertes signalent un possible « emballement » du réchauffement, qui pourrait produire à son tour plus d’émissions néfastes, alimentant un cercle vicieux. L’étude pointe aussi l’effet paradoxal de la baisse de la pollution. « Quand on réduit les émissions de NOx d’environ 20 %, on peut faire augmenter deux fois plus vite le méthane et ça nous a beaucoup surpris », remarque Philippe Ciais.
Le méthane : un défi majeur pour la lutte contre le réchauffement climatique
Les programmes de lutte contre les émissions risquent ainsi de faire augmenter le méthane à l’avenir. « Donc si on veut tenir les objectifs de l’accord de Paris il faudra agir encore plus vite et encore plus fort pour baisser les sources de méthane », plaide Philippe Ciais.
Le méthane fait l’objet d’attentions particulières dans la lutte contre le dérèglement climatique car, même s’il a une durée de vie dans l’atmosphère beaucoup plus courte (une dizaine d’années) que celle du CO2, son pouvoir réchauffant est bien supérieur : 28 fois plus sur 100 ans. Ce gaz est responsable d’environ un tiers du réchauffement mondial depuis la Révolution industrielle. Ses émissions sont majoritairement (60 %) liées à l’activité humaine, sur laquelle il est donc possible d’agir : industrie des énergies fossiles, agriculture, élevage, déchets… Le reste provient des zones humides.
La suite des recherches et les défis à venir
Une énigme demeure, car la concentration de méthane a continué à augmenter en 2021. Mais les chercheurs ont déjà des pistes : « il semblerait, d’après des résultats très préliminaires, qu’on ait encore un souci au niveau des OH », avance Philippe Ciais. Le phénomène pourrait s’expliquer par la reprise seulement partielle du transport aérien – dont le rôle dans la production de NOx à haute altitude est très important – et par une activité encore faible des transports aux États-Unis et en Inde.
En résumé, si la réduction de l’activité automobile contribue à baisser la pollution de l’air, elle pose aussi des défis inattendus pour le réchauffement climatique. Les efforts pour équilibrer les émissions de NOx et de méthane devront être soigneusement calibrés pour éviter des conséquences imprévues sur le climat.
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